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Témoignages

« Toute école est sensée être inclusive » - Interview de Jacques Joguet

7 septembre 2020
Témoignages

D’abord enseignant auprès d’élèves issus de milieux très défavorisés, Jacques Joguet a été pendant plusieurs années Directeur d’établissement. Aujourd’hui Formateur à la préparation au CAPPEI (Certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive), il a publié en 2019 « L’éducation inclusive, concrètement que faire ?» (aux éditions Tom Pousse). Nous revenons avec lui sur ce qu’on entend par « école inclusive », et sur ce que la loi 2005 implique pour l’accueil des élèves handicapés dans les classes ordinaires. Mais sa réflexion va bien plus loin : l’école inclusive, c’est l’école de tous et de chacun, celle qui prend en compte « l’hétérogénéité des compétences de chaque élève », handicapé ou non. Entretien.

Depuis quand vous intéressez-vous à cette question de l’inclusion des élèves, et pourquoi ?

Cela remonte à mes premiers pas en tant qu’enseignant, au début des années 70. Je me trouvais alors dans une école du Nord de la France, accueillant des enfants issus de milieux sociaux très défavorisés. Dans ma classe, ils avaient entre 6 et 9 ans. J’allais les chercher chez eux le matin pour les emmener à l’école. Certains vivaient dans des habitats sur terre battue. Ma réflexion est née en observant un contraste très intéressant. En classe, ces enfants se comportaient de manière totalement anarchique : c’était un chahut permanent ! Mais dans la cour de récréation, tout changeait. Ils s’installaient dans un coin et commençaient par créer un petit tas de « boulets » (une variété de grosses billes, ndlr). Une fois leur tas créé, ils attendaient patiemment un joueur. Le candidat devait faire tomber le tas de boulets selon les règles du jeu et des critères précis : avant qu’il ne commence, il y avait toute une négociation pour savoir le nombre de chances à lui accorder par exemple, selon sa taille, sa force, son expérience du jeu etc. C’était une discussion construite et argumentée, et surtout, posée. Mais dès qu’ils rentraient en classe, après la récréation, tout ce système s’effondrait et c’était le retour au chahut. Leurs résultats scolaires étaient inexistants. Je croyais cependant fermement en leur potentiel, et je me demandais comment susciter l’intérêt de ces enfants en classe... C’est là que ma réflexion a commencé concernant les moyens d’engager tous les élèves dans l’accès aux compétences.

Finalement, vous cherchiez comment donner aux enfants l’envie d’apprendre ?

Au fil de mes quarante ans dans l’enseignement, j’ai toujours trouvé que le déclenchement de l’effort chez l’élève est un processus passionnant. L’idée est de lui faire comprendre qu’il peut obtenir une compétence qui va lui faciliter la vie. On considère souvent qu’en tant qu’enseignant, notre rôle est de lui transmettre cette compétence. Mais en fait, c’est aussi de lui permettre d’y accéder, au sens large : cela implique non seulement de lui donner envie d’y accéder, mais aussi de lui en donner les moyens « matériels », y compris quand il ne peut pas le faire seul, pour quelque raison que ce soit.

En quoi le matériel et les aménagements scolaires sont-ils importants pour favoriser l’inclusion de tous les élèves ?

Prenons l’exemple d’un problème de maths.  Certains élèves dyslexiques auront de grandes difficultés à lire l’énoncé et ne pourront donc pas accéder au problème lui-même. Installer un appareil audio sur une table permet à ces enfants d’écouter l’énoncé et de contourner leur difficulté de lecture. Ils pourront alors travailler sur leur problème de mathématiques comme les autres enfants.

Un autre exemple : des élèves dyspraxiques ont du mal à tenir leur équerre et leur compas pour construire une figure géométrique. Leur permettre de réaliser leur construction sur un écran digital (par exemple avec l’application GeoGebra), leur permet de faire l’exercice comme les autres élèves.
Dans ces deux cas, on a permis à des enfants ayant certaines difficultés d’accéder eux aussi au cours, à l’exercice, puis à la compétence. 

Vous évoquez aussi l’importance de la qualité et de l’esthétique du matériel...

Oui, parce qu’un matériel scolaire esthétique et de qualité donne envie de l’utiliser, tout simplement. Les outils de travail devraient être beaux et agréables à manipuler, quelle que soit l’activité en classe. De la part de l’établissement et de l’enseignant, proposer aux élèves un matériel de qualité, c’est une forme de respect. Et cela concerne tous les aspects de l’école : de l’aménagement extérieur de l’établissement, qui doit donner envie d’entrer, jusqu’aux espaces d’accueil (un coin chaleureux pour recevoir les familles, une salle des professeurs confortable, bien décorée...), en passant par le matériel destiné aux élèves eux-mêmes, qui doit être non seulement esthétique mais aussi parfaitement fonctionnel et adapté à leurs besoins. Le matériel et les fournitures sont une aide essentielle à la pédagogie.

Que pensez-vous des aménagements en classe flexible, qui autorisent notamment le mouvement des élèves, qu’en pensez-vous ?

Le rapport des enseignants aux mouvements des élèves, c’est une vraie question pour les professionnels. Un élève qui bouge, cela peut être difficile à vivre si on ne sait pas pourquoi il bouge. Si on comprend le « pourquoi » (par exemple, le fait que certains mouvements activent des zones du cerveau impliquées dans la mémorisation ou l’apprentissage), alors tout change. De même pour le bruit, souvent redouté : s’il s’agit d’un « bruit pédagogique », comme une ruche qui bourdonne d’activité, alors c’est très positif. Tout est question de représentation.

A la lecture de votre livre, on comprend que l’éducation inclusive englobe tous les élèves, qu’ils soient ou non en difficulté. Pourrait-on selon vous envisager ainsi une école inclusive pour tous, sans cas particulier ?

L’école inclusive, ce n’est pas celle qui s’adresse uniquement aux élèves en difficulté, même s’ils y ont évidemment toute leur place. Ce n’est pas non plus une école pour les enseignements spécialisés. En fait, depuis la loi de juillet 2013, toute école est supposée être inclusive. Parler d’ « école inclusive » est finalement un pléonasme. L’idée est de mettre à disposition de tous les élèves les matériels qui leur permettront de progresser et d’accéder aux compétences. Chacun en fera l’usage qui lui convient : par exemple, des tablettes numériques pourront être utilisées par des élèves à besoins spécifiques,  mais aussi par ceux qui n’ont pas de problème particulier. On évite ainsi tout sentiment de discrimination, qui peut surgir quand un élève est considéré comme « différent », et qu’on lui donne un outil que les autres n’utilisent pas.

On évoque souvent le manque de moyens pour expliquer l’absence d’équipements...

Il y a eu une décision politique avec la loi de 2005 sur le handicap. A l’époque il avait été dit que les collectivités avaient dix ans pour se mettre aux normes... Mais au niveau politique, les responsables n’ont pas toujours mis en place les budgets nécessaires pour être en adéquation avec la loi. Sur le terrain, il y a de remarquables initiatives locales en matière d’équipement des écoles et des classes, mais elles ne sont pas généralisées.

Sur le terrain, justement, est-ce que cette idée d’école inclusive pour tous fait son chemin?

Dans les écoles où existe un dispositif ULIS, il y a une prise de conscience : les enseignants de classes ordinaires voient comment cela se passe en classe ULIS, ils discutent avec leurs collègues... Cela impacte aussi parfois le projet d’établissement, qui va s’orienter de lui-même vers davantage d’inclusion. C’est plus facile de faire bouger notre « représentation » des choses quand on « vit » un changement sur le terrain. Des élèves de classes ordinaires me disent parfois que, depuis qu’un élève de classe ULIS vient passer quelques jours par semaine avec eux, les journées se passent mieux qu’avant...

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