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Accueil des enfants sourds et malentendants en classe : rencontre avec le CEOP

9 mars 2020
Témoignages

Depuis 1968 à Paris, le CEOP (Centre expérimental orthophonique et pédagogique) accueille des jeunes sourds de zéro à 20 ans. Son objectif est de soutenir le développement de leurs potentialités langagières et cognitives, pour favoriser leur inclusion, leur épanouissement et leur autonomie. Ce centre est aussi une école, où un enseignement au plus près du programme de l’Education nationale est prodigué par des professeurs CAPEJS (Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement des jeunes sourds), de la maternelle jusqu’à l’entrée au collège.

Chaque matin en semaine, une petite foule d’enfants se presse à l’ouverture des portes du Centre Expérimental Orthophonique et Pédagogique (CEOP), dans le 15e arrondissement de Paris. Tous sont atteints de surdité, à des degrés divers. Le CEOP leur apporte un suivi orthophonique, mais aussi la possibilité d’être scolarisé. D’ailleurs, quand on pénètre dans l’établissement, on a le sentiment d’entrer dans une école comme les autres. Les murs sont décorés de travaux artistiques collaboratifs réalisés par les enfants du Centre. C’est Mme Delphine Poisson, chef de service pédagogique et professeure CAPEJS, qui nous accueille. Elle fait partie du CEOP depuis 24 ans. Entretien.

Chaque classe compte un petit nombre de tables : combien d’élèves accueillez-vous ?

Nous prenons en charge une centaine d’enfants et de jeunes, du bébé jusqu’à l’âge de 20 ans. Le CEOP est composé d'un service avec un SAFEP (Service d'Accompagnement Familial et d'Education Précoce), d'un SSEFS (Service de Soutien à l'Education Familiale et à la Scolarisation). Les enfants sont pris en charge à temps partiel au sein du CEOP et l’autre partie du temps dans leur école de quartier ou en crèche pour les plus jeunes.

Nous avons également un établissement composé d’une SEES (Section d'Education et d'Enseignement Spécialisé) et d'une SEHA (Section d'Enfants à Handicaps Associés). Les enfants sont alors scolarisés à plein temps dans nos locaux.

Au sein de notre établissement, nous prodiguons un enseignement qui va de la maternelle jusqu’au CM2

Au début de la prise en charge d’un bébé atteint de surdité, un orthophoniste se rend au domicile des familles pour assurer la prise en charge de l’enfant et la guidance parentale. Quand l’enfant grandit, il se rend au CEOP pour y suivre des séances. Puis dès 3 ans, il peut être intégré dans nos classes à temps partiel. Il est important pour nous que les enfants puissent bénéficier de temps d’inclusion dans leur école de quartier.

Nous tenons à maintenir des classes avec un très faible nombre d’élèves , de trois à huit maximum. Cela est essentiel pour une prise en charge optimale des enfants, et pour garantir un enseignement personnalisé et adapté aux besoins des enfants. Le partenariat avec les familles est également essentiel dans le fonctionnement du CEOP, depuis sa création par Suzanne Borel-Maisonny et Lucie Matteodo-Peyracchia en 1968. Depuis 26 ans, l’établissement est dirigé par Martial Franzoni, qui en poursuit la mission, en termes d’enseignement, de formation et de recherche. Lui-même est orthophoniste, il est très proche du terrain.

De quels professionnels se composent vos équipes ?

Notre équipe est pluridisciplinaire. Elle se compose de chefs de services paramédicaux et pédagogiques, d’ orthophonistes, de professeurs, d’éducateurs spécialisés et de jeunes enfants, d’un professeur de Langue des Signes Française (LSF), d’un éducateur sportif, de codeuses, de psychomotriciennes, d’un ORL, d’un pédiatre, d’audioprothésistes, d’une psychologue, d’un psychiatre, d’une assistante sociale d’infirmières et de l’équipe administrative. Les professeurs sont tous détenteurs du CAPEJS et donc formés à l’enseignement spécialisé pour les enfants sourds.

Comment se déroule l’enseignement lui-même, vis-à-vis de ce handicap particulier qu’est la surdité ?

L’expression orale est facilitée grâce aux implants. L’arrivée des implants, il y a une trentaine d’années a vraiment marqué un tournant dans la prise en charge de la surdité et l’inclusion des enfants sourds : grâce aux implants, la compréhension et l’expression orale sont facilitées. Il est néanmoins nécessaire de faire un travail régulier d’éducation auditive.

Mais malgré cela, il est important de reprendre avec les élèves les notions de langage. Au Ceop, elles sont d’abord abordées au niveau du sens puis au niveau grammatical. L’objectif étant qu’ils comprennent bien ces différentes notions et leurs subtilités pour pouvoir se les approprier et donc les utiliser.

Pour les enfants qui communiquent en LSF l’apprentissage du français est plus compliqué. En effet,  la structure de la langue des signes française (LSF) est très différente de celle du français. Ils ont souvent un manque de vocabulaire important.

L’affichage en classe est très important : nous épinglons des tableaux de langage sur les murs de la classe pour aider les enfants. A noter qu’en plus de l’enseignement collectif, nous proposons aussi des séances individuelles auxquelles les parents assistent. Avec les familles, nous sommes véritablement dans une relation de partenariat.

Vous avez une salle de musique dans votre établissement...

Les enfants sourds entendent la musique grâce à leur appareillage ou leurs implants, ou perçoivent les sons grâce aux vibrations du parquet par exemple. Avec un professeur de musique, ils peuvent travailler des créations musicales (à base de percussions) mais aussi sur les sensations et sentiments que procure la musique.

Le travail fait en éducation auditive nous aide également pour l’apprentissage de certaines notions de langage. Ce travail d’éducation auditive est lié au développement du langage et de la parole.

Doit-on installer des aménagements spéciaux en classe, pour les élèves sourds ou malentendants ?

Il est très important d’aménager les classes pour que les enfants puissent se voir les uns les autres : cela est primordial pour les interactions. Installer les tables de la classe en U est une bonne solution, qui permet en plus à l’enseignant de balayer la classe du regard en permanence et aux enfants de se voir.

Vous pouvez retrouver ici, une table à roulettes favorisant la disposition en U, ici

Certains enfants sourds peuvent avoir des problèmes d’équilibre, dus notamment aux troubles du système vestibulaire (dans l’oreille interne). Nous les installons alors à des tables de type « pupitre d’art plastique », dont ils peuvent redresser le plateau vers eux, de manière à travailler sans trop incliner la tête vers l’avant.

Travaillez-vous aussi sur l’inclusion des élèves sourds en classes ordinaires...

Oui, nous favorisons vraiment l’inclusion des enfants d’abord en crèche puis dans leur école de quartier.  

Nous proposons de mettre en place un temps partagé entre l’école ordinaire et notre Centre, si les potentialités de l’enfant le permettent. L’idée est de favoriser l’intégration de nos élèves dans leur école de quartier, tout en proposant des séances au CEOP (en groupe et en individuel). Le temps passé en classe ordinaire dépend des besoins spécifiques de chaque enfant et de son niveau scolaire.

Si les enfants se retrouvent en difficulté et ne parviennent plus à suivre, ils reviennent à plein temps dans notre centre pour continuer leur scolarité dans des groupes à petits effectifs avec des professionnels connaissant parfaitement la surdité.

Comment accompagnez-vous les écoles dans l’accueil des enfants sourds ?

Nous fonctionnons en partenariat avec les écoles de quartier.

Nous organisons, dans nos locaux, une réunion pour les enseignants qui accueillent un élève du CEOP au mois d’octobre. Un des audioprothésistes du Ceop intervient lors de cette réunion. Nous expliquons ce qu’est la surdité, ses différents impacts sur l’enfant, son quotidien, sa perception de son environnement. L’aspect technique des appareillages et leurs bénéfices est aussi explicité.

Au mois de juin, nous proposons une deuxième réunion avec des enseignants, directeurs d’ecole ou de centre de loisirs et des professionnels qui vont accueillir l’année suivante un enfant sourd. A cette occasion, les enseignants peuvent témoigner et partager leur expérience. Cela donne lieu à de nombreux échanges très constructifs.

Pendant l’année scolaire, une fois par trimestre pour les maternelles et une fois par mois pour les primaires, des professionnels du CEOP vont dans les écoles où sont scolarisés les élèves du CEOP, pour voir comment cela se passe en classe et échanger avec l’enseignant .

Nous cherchons aussi à sensibiliser à la surdité les camarades de l’enfant. Avec l’accord de l’enseignante, nous venons en classe pour expliquer ce qu’est la surdité. Nous parlons de la Langue des Signes Française (LSF) et de la LfPC (code visuel qui permet de recevoir l’intégralité du message oral. Il apporte des informations complémentaires à la lecture labiale. Il permet de voir la totalité des phonèmes constituant la chaîne parlée et de différencier les sosies labiaux ) Nous proposons des jeux aux enfants pour les sensibiliser à cela. Ils peuvent également venir visiter le CEOP , ce qui les intéresse toujours beaucoup.

Vers 12 ou 13 ans, nous orientons nos élèves vers un collège spécialisé ou dans une ULIS selon ses besoins. Certains d’autre eux bénéficient alors d’un suivi individuel : il peuvent revenir au CEOP pour suivre séances individuelles d’orthophonie ou de pédagogie, et nous pouvons nous-mêmes nous déplacer.

Quel conseil donneriez-vous aux enseignants pour l’accueil d’un élève sourd dans leur classe ordinaire ?

Il faut savoir que les surdités sont très différentes les unes des autres, chaque enfant sourd a des besoins spécifiques selon degré de surdité, son appareillage, ses potentialités, s’il a ou non un handicap associé à sa surdité…. Certains enfants sourds ont accès au langage oral, d’autres non. La réunion que nous proposons aux enseignants sur les appareils et les aspects techniques est très importante pour comprendre tout cela. La surdité est un handicap difficile à appréhender, parce qu’elle peut être « discrète », si l’on peut dire. Elle a tendance à se faire oublier, surtout avec les enfants implantés, qui s’expriment souvent très bien en classe. Les implants, les prothèses, ou même la lecture labiale, pour laquelle certains enfants sont très doués, leur permettent de suivre en classe en donnant l’impression qu’ils n’ont pas de problème. Du coup, les professeurs peuvent oublier que l’enfant a une surdité. Mais l’enfant peut, malgré tout, avoir mal compris la leçon, les consignes, les explications...C’est pour cela que nous conseillons aux enseignants de lui faire régulièrement reformuler ce qu’il a compris.

En termes de placement de l’élève sourd en classe, nous recommandons aussi de l’installer bien en face du tableau, pas trop loin du tableau mais pas au premier rang : en effet, il est préférable qu’il puisse facilement voir les différentes interactions entre les autres élèves et le professeur dans la classe. Donc, l’élève est placé face au tableau pour capter et garder son attention, mais aussi pour qu’il puisse facilement voir ses camarades et la maîtresse (et pouvoir lire sur ses lèvres). C’est un équilibre à trouver !

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