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Éducation

Quels aménagements en classe face au mal de dos des enseignants ?

15 mars 2021

Et si certains aménagements en classe pouvaient contribuer à prévenir et soulager le mal de dos chez les enseignants ? Naturellement, aucun mobilier ne peut résoudre à lui seul cet épineux problème qui empoisonne la vie de nombreux professionnels de l’éducation, notamment en maternelle et CP. Mais tout de même : en prenant de bons réflexes et en réfléchissant aux équipements de la classe, on peut éviter des postures dites « à risque ». Le kinésithérapeute et ergonome Jean-Philippe Demaret nous éclaire sur les bons gestes et installations à privilégier. 

Jean-Philippe Demaret, kinésithérapeute, est conseiller en prévention ergonome en Belgique. Il exerce aujourd’hui auprès de Cohezio, Service Externe de Prévention et Protection au Travail. En 2007, il a cosigné un livret de prévention des lombalgies pour les professionnels de la petite enfance. Nous revenons avec lui sur ce Trouble Musculo-Squelettique (TMS) chez les enseignants, notamment en maternelle et CP. Dans ces classes, les enfants sont encore petits (3 à 7 ans). Ils ont acquis une certaine autonomie, ils sont propres et savent marcher : il n’est normalement plus nécessaire de les porter, de les habiller ni de changer leurs couches, situations typiquement à risque pour le mal de dos de l’enseignant qui doit alors se pencher vers l’avant et soulever l’enfant. Cependant, plusieurs situations demeurent « à risque » en matière de mal de dos en maternelle et petit primaire. Par exemple : l’enseignant doit se baisser pour se mettre à la hauteur de l’enfant assis à son petit bureau. Il doit s’accroupir ou s’asseoir par terre quand les enfants sont installés au sol sur un tapis pendant les temps de regroupement ou lors des moments de jeux. Pour toutes ces situations, on peut envisager des postures et des installations qui permettront de soulager ou prévenir le mal de dos. Car la prévention est essentielle, insiste Jean-Philippe Demaret. Il rappelle que les TMS évoluent très souvent à bas bruit. On commence à s’en préoccuper quand on commence à souffrir, alors que l’idéal serait évidemment de les éviter.  

Que sait-on du mal de dos dans l’enseignement et notamment chez les enseignants des petites classes ?  

Une enquête Eurofond (Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie au travail) a révélé le pourcentage de gens déclarant souffrir de maux de dos dans différentes professions. C’est intéressant de comparer l’enseignement à d’autres métiers. Dans le monde agricole par exemple, 55% des professionnels indiquaient en 2015 avoir souffert du dos. Dans la finance 24 %. Et dans l’éducation, ils étaient 36% (contre 40% en 2010, ce qui marque une possible amélioration, à confirmer avec les prochains résultats évidemment). Ce chiffre permet de bien réaliser que l’éducation est concernée par ce problème. 

En tant que kinésithérapeute, avez-vous identifié des situations à risque  pour le dos de l’enseignant dans le cadre de l’exercice de son métier ?  

Le mal de dos est une pathologie multifactorielle. Or, dans l’enseignement auprès de très jeunes enfants, les situations et facteurs de risques sont nombreux.  
Il y a ce qu’on appelle les gestes de manutention : même si à 3 ans l’enfant marche, il faut parfois le porter.  
Il y a aussi le fait de se pencher en avant. Cela intervient très fréquemment dans ce métier : pour moucher un enfant ou l’aider à fermer son manteau par exemple. Mais aussi pour attacher un bavoir autour du cou d’un petit de maternelle. Ou encore, pour ramasser des crayons ou des jouets au sol, ou regarder un travail que l’enfant a réalisé alors qu’il est assis à sa table.  
Dans toutes ces situations, on se penche. Se pencher jusqu’à 20 degrés vers l’avant, cela ne pose pas de problème. Mais entre 20 et 60 degrés, il faut faire attention. Et au-delà, c’est vraiment risqué lorsque cette posture est répétée fréquemment.  
Les ligaments sont étirés régulièrement et résistent de moins en moins bien au fur et à mesure des répétitions. Il peut se produire ce qu’on appelle des entorses vertébrales. 

 

 

Quelle est la parade face à ces différentes situations ?  

Pour ce qui est du ramassage des objets et des jouets, on peut systématiquement solliciter l’aide des enfants. Concernant les actions de fermer les manteaux ou moucher les plus petits, on peut tout simplement s’asseoir devant l’élève, ou lui demander de monter sur un support bien stable et sécurisé pour qu’il soit davantage à la hauteur de l’enseignant (l’enfant doit bien sûr en redescendre immédiatement pour éviter tout risque de chute, ndlr). 
Si l’on doit porter un enfant, on s’arrange pour écarter suffisamment les pieds, plier les genoux légèrement et approcher l’enfant de soi. De manière générale dans les gestes de manutention, plus la « charge » à soulever est proche de la colonne vertébrale, mieux c’est.  

Du côté des aménagements, que recommandez-vous pour limiter les risques ?  

Je souligne d’abord que l’important est de varier les postures. Il faut bouger et ne pas rester constamment sur une même assise. C’est le mouvement qui permet aux disques de la colonne vertébrale de « respirer ». Sinon, ils se tassent.  
S’installer sur un tabouret à roulettes réglable en hauteur, c’est une bonne idée, cela permet de maintenir un certain mouvement (grâce aux roulettes) et d’adapter l’assise selon le ressenti de l’enseignant.  
Attention aux ballons : ils ne sont pas faits pour être utilisés longtemps comme assise. Ils sont plutôt une alternative ponctuelle et permettent de réaliser des exercices d’étirement très utiles pour la colonne vertébrale. La hauteur du ballon elle aussi doit être adaptée à la taille de l’enseignant.  

La posture assise justement est souvent pointée du doigt car elle contribue à l’avachissement du dos... Pourquoi ? 

C’est vrai que la position assise, surtout prolongée, peut-être risquée pour le dos. Quand on est debout, la lordose (ou cambrure) naturelle du dos permet de maintenir la position verticale sans effort musculaire. Quand on s’assoit, on adopte souvent une position avachie, dos arrondi vers l’arrière. Cette disparition de la lordose lombaire comprime le disque et étire les ligaments postérieurs.  

En position assise, je recommande déjà de maintenir un angle de 120 à 130 degrés entre le buste et les cuisses. Et surtout, d’éviter à tout prix de s’asseoir en remontant les genoux trop hauts, ce qui est souvent le cas quand on s’installe sur un siège trop bas : c’est alors qu’on fléchit trop les hanches et qu’on tire sur la région lombaire. Il faut autant que possible éviter cette posture.  

Que recommandez-vous pour bien s’asseoir au sol avec les enfants quand c’est nécessaire ? 

C’est vrai que pour les adultes s’asseoir par terre n’est pas forcément confortable ni souhaitable. Au début, on pense à bien redresser son dos, mais ça va 5 minutes... et puis on s’avachit. Si on ne peut pas faire autrement que s’asseoir au sol, le mieux est de se caler contre le mur en plaçant un gros coussin dans le bas de son dos. On peut aussi préférer s’installer à genoux, en prenant appui sur un socle incliné, en mousse ferme. 

 

Une image contenant personne, intérieur, mur, enfantDescription générée automatiquement  Une image contenant personne, plancher, table, intérieurDescription générée automatiquement 

 

Et du côté du mobilier de la classe, quels sont les équipements auxquels veiller pour éviter au maximum les situations à risque pour le dos ? 

Des mobilier à roulettes pour les élèves est bien sûr plus facile à déplacer, je le recommanderai pour éviter les efforts de manutention.  
Du côté du mobilier dédié aux enseignants eux-mêmes, qui effectuent tout de même régulièrement des tâches assis à un bureau voire devant un ordinateur, j’encourage évidemment l’utilisation de sièges et tables ergonomiques. Comme pour tout le monde, j’insiste sur les dangers de l’ordinateur portable qui entraîne une mauvaise position, la nuque fléchie notamment. Le mieux est d’avoir un écran à la bonne hauteur, n’obligeant ni à baisser ni à lever le regard.  

Mais quels que soient les équipements utilisés, je tiens à souligner à nouveau l’importance d’éviter l’immobilité posturale et de varier les positions pendant la journée d’école. Et aussi, d’instaurer des exercices d’assouplissement pendant les pauses. 

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