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Témoignage d'Hervé - Enseignant en CP-CE2, Méthode Freinet

4 juin 2018
Témoignages

Hervé Allésant est enseignant en Primaire à l’école Bonneveine 2, à Marseille, l’un des 10 établissements publics français entièrement dédiés à la pédagogie Freinet. Il évoque ici ses 5 années d’expérience en tant que Professeur des Ecoles et décrit notamment la manière dont il a progressivement organisé sa classe, pour y favoriser la prise d’autonomie et la collaboration entre les élèves.

Q : Quel a été votre élément déclencheur qui vous a fait décider d’adopter la méthode Freinet ?

R : J’enseigne en tant que professeur des écoles depuis 5 ans, mais je suis familier des classes depuis 20 ans en tant que musicien intervenant. Durant ces années, j’ai vu œuvrer des gens confirmés dans leurs choix pédagogiques ; de fait, dès mes débuts d’enseignant stagiaire, j’avais déjà une vision et une idée de ce qui fonctionnait ou pas avec les élèves.

Dès ma première année de stage, je suis donc allé me former à l’ICEM-Pédagogie Freinet (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne). Je me suis senti complètement en phase avec cette manière d’appréhender la classe et les enfants, et j’ai immédiatement décidé de l’adopter.

En pédagogie Freinet, on est souvent en classes multi-âges : il est important d’avoir des élèves à différents stades d’avancement en matière de pédagogie Freinet : ma classe se compose de 25 élèves, 9 CP et 16 CE2.

Q : Comment avez-vous pensé l’organisation de votre salle de classe pour y mettre en œuvre la méthode Freinet ?

Cet aspect a été vraiment été un temps de questionnement. Ma salle de classe fait environ 80 mètres carrés, ce qui, certes, n'est pas minuscule mais pas non plus si confortable à 26 !

La méthode Freinet repose pour beaucoup sur le travail en autonomie : chaque élève peut à un moment donné devoir circuler pour aller chercher du matériel puis le ranger.

Mes premiers questionnements ont porté sur les cheminements qu'allaient employer les élèves dans la classe : ce qui allait conditionner les lieux de rangement du matériel dans la classe, en particulier pour permettre des circulations fluides, et éviter les « bouchons » … Il a fallu tâtonner et procéder de manière un peu empirique.

Maintenant, dans la classe chaque chose a trouvé sa place. Il est très important que les élèves puissent disposer du matériel dont ils ont besoin sans avoir à passer par moi pour savoir où le trouver…Car dans la pédagogie Freinet, la posture de l’enseignant n’est pas centrale dans la classe. Par exemple pour créer un journal, il faut chercher des mots sur le dictionnaire, naviguer sur Internet donc il faut un ordinateur, etc.

C’est en observant, les élèves et leurs usages, que j’ai adapté au fur et à mesure le rangement qui convenait le mieux. Ainsi, l’organisation que nous avons trouvée maintenant permet aux élèves de fonctionner en pleine autonomie. J’ai pour cela opté pour un système de « coins », qui sont parfaitement identifiés :

  • il y a par exemple le « mini Musée » qui est en fait un « cabinet de curiosités[1] » dans cet endroit les enfants vont  trouver des objets qui vont susciter des questions : des crânes, des petits squelettes d'animaux dans du plastique, des pièces de monnaie étrangères ou anciennes… 
  • nous avons aussi un coin sur le thème « grandeurs et mesures » : on y trouve du matériel pédagogique comme dans n'importe quelle école de France. Simplement, plutôt que d’utiliser le matériel à une date et une heure précises pour la séance « grandeurs et mesures », l'enfant y viendra lorsqu’il aura besoin de travailler sur cette compétence, à l’occasion par exemple d’un exercice lié à la cuisine, pour lequel il a besoin de mesurer la masse de la farine…
  • dans plusieurs endroits de la classe, sont positionnés des casiers qui permettent de ranger du matériel : calculatrices, tampons, stylos… pour que tout soit en permanence à la portée de tout le monde. Au fil du temps, l’usage m’a imposé certains choix.

La pédagogie Freinet est éminemment sociale : il est impossible de rester dans son coin, il faut sortir pour observer, écrire des lettres pour pouvoir partager nos projets avec nos correspondants… au début, l’élève peut avoir l’impression d’avoir énormément de choses à faire, et nous devons l’accompagner progressivement.

Q : Et en termes de postures des élèves au sein de votre classe, comment cela se passe-t-il ?

R : En situation d’autonomie au niveau de son travail, l’élève ne se voit pas imposer de posture… Du moment qu’il se sent dans une position confortable et qu’il respecte le travail de l’autre, nous n’intervenons pas. L’enseignant est comme un animateur d’équipe dans un open space. Les élèves travaillent les uns à côté des autres, à deux, à trois, tout seuls, du moment que cela s’inscrit dans le plan de travail. Mon rôle consiste à vérifier qu’aucun élève n’est en train de bloquer sur un problème technique ou sur une difficulté. Nous terminons par un bilan d’ensemble qui permet à chacun de faire le point sur ce qu’il a accompli, de partager une découverte qu’il a faite, etc.

Dans certaines classes Freinet, il est possible de trouver un coin musique par exemple : un espace semi-fermé, où l’enfant s’exprime librement sans que l’enseignant est un regard permanent à travers cet espace. Il y a un « contrat » de confiance qui se crée entre l’élève et l’enseignant.

Je regarde avec beaucoup d’intérêt les vidéos du Canada, où l’on parle de "Flexible seating" mais mon principal frein dans mon cas de figure est la place disponible ! C’est-à-dire que dans chacun de nos « coins », on devrait pouvoir faire une petite assemblée de 3 ou 4 élèves mais actuellement le manque d’espace ne me le permet pas. En fait, l’élève va plutôt aller chercher le matériel et revenir à sa place. Je travaille soit par îlots (les élèves sont rassemblés par groupes de 4 – 5) ou sur le devant, les CP sont assis en U avec des bancs tournés vers l’extérieur pour leur permettre de se regrouper autour d’une même table – l’objectif est de favoriser le travail en commun, debout, assis, assis par terre, etc. Nous utilisons aussi beaucoup le couloir, mais nous n’avons pas d’endroit permanent avec un canapé, des balles, etc.

Je me suis posé la question en début d’année de proposer moins de places assises classiques (1 place assise = 1chaise + 1 table) qu’il n’y a d’élèves… En réalité il y a environ 60 % des élèves qui sont en permanence à leur bureau donc au lieu d’avoir mes 25 places, je pourrais très bien ne garder qu’une quinzaine de bureaux, organiser un grand endroit pour le rassemblement, et répartir le reste de l’espace gagné entre les différents coins.

Jusqu’ici je ne l’ai pas fait pour des raisons pratiques : il y a énormément d’éléments à mettre en place pour organiser le travail en pédagogie Freinet, je ne voudrais pas ajouter d’éléments de complexité. Par exemple comme il n’y a pas de place attitrée en Flexible seating, les élèves vont peut-être se demander où et comment ils vont retrouver leurs affaires… Je ne pense pas que ce soit incompatible, mais je n’ai pas encore osé le mettre en œuvre. J’avais bien envisagé de créer 25 casiers, cela n’a pas été possible car nous manquons de place.

La pédagogie Freinet est un mouvement qui peut accueillir de nombreux apports extérieurs sans trahir l’esprit initial ! Dans les écrits de Freinet, on retrouve cette idée de s’ouvrir aux techniques du moment si elles présentent un intérêt pour la classe. Par exemple à son époque, Freinet avait détourné l’imprimerie mobile de son usage traditionnel – les tracts syndicaux – au profit de ses élèves. A l’heure actuelle, Freinet utiliserait certainement des iPads en raison de son intérêt pédagogique pour l’élève et pour le maître. Le numérique est totalement compatible avec la méthode Freinet !

 Je pense qu’il en est de même pour le Flexible seating du moment que ce n’est pas juste un gimmick qu’on ajoute dans la classe. Par contre, il faut que cela aide la pédagogie : « ne pas lâcher les mains tant que les pieds ne touchent pas» disait Freinet !

En France nous avons eu la chance dans les années 70 d’avoir des inspections académiques qui ont accordé des postes « fléchés » c’est-à-dire avec une formation spécifique permettant de mettre en place la pédagogie Freinet. L’une des dernières écoles Freinet qui vient d’ouvrir se trouve à Mons-en-Bareuil près de Lille, dans un quartier très défavorisé, grâce à l’action d’enseignants militants pour cette méthode pédagogique. Et cela fonctionne très bien. Du moment que l’on laisse la chance à chacun de faire du travail authentique en responsabilisant ces enfants, en leur donnant le choix sur leur plan de travail en étant clair sur les attentes, on grandit tous ensemble. C’est ce que nous essayons de prôner dans nos classes.

Et vous ? Qu'en pensez-vous ?

[1] Les cabinets de curiosités :  étaient des pièces, ou parfois des meubles, où étaient entreposées et exposées des « choses rares, nouvelles, singulières », pour reprendre la définition du Littré. : on y trouvait un mélange hétéroclite comprenant  (naturalia: objets d'histoire naturelle, artificialia : objets créés par l'homme : objets archéologiques, antiquités, médailles, œuvres d'art, armes, objets de vitrine (boîtes, tabatières, petits flacons) ou modifiés : objets d’art, tels les peintures sur pierre, pièces en pierres fines ou précieuses (camées, intailles), en cristal de roche, ivoire, ambre, nautiles montés en hanap, œufs d’autruche, etc., scientifica : (instruments scientifiques, automates, zograscopes, etc)., exotica (plantes, animaux exotiques, objets ethnographiques) - source : Wikipedia

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Auteur : Margaux

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