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Ecole inclusive : bien accueillir un élève trisomique en classe ordinaire

26 octobre 2020
Témoignages

En Suisse, dans le canton de Vaud, Anne Rodi accompagne les enseignants dans la scolarisation d’élèves atteints de trisomie 21. Spécialiste de la déficience intellectuelle ou du polyhandicap, elle a participé sur le terrain à plusieurs projets d’enseignement spécialisé dans différents pays, par exemple en Albanie. Aujourd’hui, au sein de l’Unité d’Enseignement et de Recherche en Pédagogie Spécialisée de la Haute Ecole Pédagogique (HEP) à Lausanne, elle contribue à la formation des enseignants spécialisés et accompagne également des équipes éducatives qui travaillent avec des élèves trisomiques. Elle évoque avec nous les meilleures conditions pour intégrer en classe ordinaire ces enfants « différents ».

Comment se passe l’inclusion des enfants atteints de Trisomie 21 dans le système scolaire suisse ? Sont-ils intégrés dans le système « ordinaire », ou entrent-ils dans un système spécifique ?

Difficile de répondre, car la Suisse compte vingt-six cantons, chacun ayant beaucoup d’autonomie dans un système très peu centralisé. Disons que de manière générale, à un moment où à un autre de leur parcours, les enfants atteints de Trisomie 21 entrent en institution, mais ils font aussi, assez souvent, un passage en école ordinaire. On a des enfants T21 qui font toute leur scolarité dans l’école ordinaire, mais c’est rare. D’autres sont institutionnalisés dès le début, mais c’est rare aussi.

Disons que de plus en plus d’élèves trisomiques suivent un cursus ordinaire jusqu’à la 4e classe de primaire (équivalent du CE1, ndlr). Ensuite, de la 4e primaire à la 8e primaire (équivalent de la 6e, ndlr), c’est plus difficile. Et très peu d’élèves poursuivent dans le secondaire.

Une réflexion est-elle en cours sur l’école inclusive ?

Dans le canton de Vaud, l’école est en pleine mutation. Certaines écoles régulières sont ouvertes à tous de manière inclusive. D’autres sont dans une logique d’intégration d’élèves « différents ». Avec le récent concept « 360° », une réflexion politique cantonale s’est amorcée depuis environ un an : chaque école réfléchit à ses dispositifs d’inclusion. L’idée est de faire en sorte que toute l’école soit ouverte à tous les enfants. Au niveau du concept c’est très bien, mais dans la réalité c’est plus compliqué. Cependant, le mouvement est lancé.

Des problèmes peuvent-ils surgir avec les autres enfants de la classe ordinaire ?

J’ai vécu plusieurs situations dans lesquelles les autres enfants le trouvaient juste « plus petit », car il savait en général faire moins de choses. Concernant le lien avec les autres enfants, je dirais que ce n’est pas la peine d’anticiper les questions, ils n’en ont pas forcément. En revanche, s’ils en ont, il faut bien sûr pouvoir y répondre. Et si des problèmes de comportement ou relationnel apparaissent chez l’enfant, il faut pouvoir en discuter tous ensemble. Pour que la classe fonctionne, l’attitude bienveillante des adultes est primordiale. Elle s’exprime notamment dans la création de projets en classe qui s’adressent à l’ensemble des enfants. C’est finalement une question de dynamique générale qui intègre tous les élèves, avec leurs points communs, et aussi dans toute leur singularité.

Les enfants trisomiques sont-ils accompagnés en classe par des auxiliaires ?

Chez nous, nous estimons qu’un enfant trisomique compte pour trois élèves. On baisse donc le nombre d’élèves dans la classe pour en accueillir un.

Dans les classes régulières, en primaire, les enfants trisomiques ont une assistante à l’intégration. Elles sont présentes en permanence ou partiellement. L’enjeu c’est que pour l’heure elles sont encore peu formées : elles ont parfois une formation en petite enfance et en psycho, ou alors n’ont pas de formation particulière. Le métier est en train de se mettre en place.

Il y a aussi des enseignants spécialisés dans l’enseignement aux enfants à besoins spécifiques. Ils accompagnent l’enseignant et l’assistante à l’intégration. Dans le meilleur des cas, ils sont présents huit heures par semaine mais parfois c’est deux heures seulement... et dans certaines classes, on ne bénéficie pas du tout de leur présence.  

Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui s’apprête à accueillir un enfant trisomique dans sa classe ?

Quand on prévoit d’accueillir des élèves T21, il faut que les équipes qui les accueillent puissent avoir un contact avec l’enfant et ses parents avant la  rentrée, pour se présenter et le préparer. On peut lui donner avant les vacances une photo de son enseignant, et des autres élèves aussi. C’est très important d’anticiper. Ce besoin d’anticipation intervient également dans le courant de l’année, concernant l’aménagement de l’espace éducatif : il faut éviter les effets de surprise pour ces enfants, y compris quand on change une disposition dans la classe, même pour des choses simples comme l’installation de la décoration de Noël par exemple. Je conseillerais dans ces cas-là de mettre l’enfant « dans la confidence » avant le jour J. J’insiste vraiment sur cette notion d’anticipation.

Avez-vous des recommandations concernant les aménagements de la classe ?

Ces enfants ne requièrent pas de « matériel » spécifique. En revanche on peut veiller à l’aménagement de la classe et à l’agencement du mobilier scolaire pour favoriser l’accessibilité. Par exemple pour les classes en ilot, si les enfants ne sont pas face au tableau, c’est difficile de conserver leur attention. D’une manière générale, ils doivent rester à proximité des supports visuels (qu’on veillera à ne pas trop charger), des étagères et du matériel dont ils ont besoin pour travailler.

Est-ce que la classe flexible est une solution pour un meilleur suivi de ces élèves ?

Pas nécessairement : je dirais que la classe peut être aménagée avec des rangées de chaises et bureaux, d’une part, et proposer aussi d’autres espaces, pour la lecture par exemple. L’essentiel est d’avoir une salle bien structurée dans ses différentes zones d’activité, qui doivent être facilement identifiables par l’enfant. Pour montrer clairement à quoi chaque zone est destinée, c’est bien d’utiliser des pictogrammes en classe : un picto « bibliothèque » pour le coin lecture, un autre picto pour l’espace dessin... L’idée est toujours de proposer aux enfants trisomiques des supports visuels pour les aider à structurer l’espace. On peut expliquer la signification des différents pictogrammes dans un cahier, ou sur des tableaux de communication affichés au mur.

Concernant les différentes zones de la classe, l’essentiel est qu’elles soient bien ouvertes à tous les élèves, handicapés ou non. Par exemple, prévoir un coin de « ressourcement », ou de « retour au calme » c’est très bien, mais à condition que tout le monde l’utilise et pas uniquement l’enfant trisomique. Sinon, on ne favorise pas l’inclusion. Au contraire, cela risque même de devenir discriminant.

De manière générale, quelles questions se poser lors de l’aménagement de la classe ?

L’idée est de toujours se demander si le matériel est accessible à l’enfant. Et aussi de se poser la question de la « sécurité » de son environnement : le cadre qu’on propose à l’enfant est-il sécuritaire, sur le plan physique bien sûr, mais aussi sur le plan affectif (avec des moments privilégiés avec l’enseignante ou l’auxiliaire), sur le plan cognitif et intellectuel (est-ce que l’enfant peut comprendre l’environnement éducatif dans lequel il évolue, comprendre que tel groupe fait telle activité pendant qu’un autre groupe fait autre chose, que tel élève fait ça pendant que lui-même peut faire autre chose, etc....Peut-il bien comprendre les consignes ?)

Je recommande aussi aux enseignants de veiller à tout ce qui concerne l’enseignement dit « explicite » : verbaliser ce que l’on fait, structurer l’activité en petites étapes en les expliquant à chaque fois... Les enfants trisomiques apprennent beaucoup par l’observation et l’imitation. Il est important de les laisser observer leurs camarades avant de se lancer eux-mêmes. Je conseille aussi à l’auxiliaire ou à l’enseignante qui introduit l’activité de commencer par faire une démonstration.

Et en cas de refus de l’enfant de faire l’activité, on peut l’inciter à venir voir ce que font les autres... Il y a des chances que cela lui donne envie d’essayer à son tour !

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