Aménagement des espaces éducatifs
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Éducation

Anne Clerc-Georgy : « Veiller à l’inclusion de chaque élève profite à toute la classe »

23 novembre 2020

En Suisse, au sein de la Haute école pédagogique (HEP) du canton de Vaux, Anne Clerc-Georgy est co-responsable de l'Unité d’enseignement et de recherche « Enseignement, apprentissage et évaluation ». Elle y fait également partie du Groupe Intervention et Recherche sur les Apprentissages Fondamentaux (GIRAF) et du Laboratoire Lausannois Lesson Study (3LS). Elle participe ainsi à la formation des enseignants du canton de Vaux. Cette professeure passionnée revient avec nous l’inclusion des enfants à l’école, qu’ils aient des besoins spécifiques ou pas.

Au fil de votre carrière, comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux questions de l’inclusion des enfants dans la classe et à l’école en général ?

J’ai commencé ma carrière il y a une trentaine d’années, comme professeure de rythmique, avec des élèves de 3 à 12 ans. Je me suis beaucoup intéressée au rapport entre le mouvement des enfants et leurs apprentissages, et au lien entre le mouvement et la concentration. J’ai compris que l’immobilité n’est pas une condition à la concentration. Elle peut au contraire en être une conséquence, quand elle est induite par l’intérêt de l’enfant pour ce qu’il fait, écoute et regarde.

Après la rythmique, j’ai poursuivi des études pour me concentrer davantage sur les conditions de la réussite des apprentissages de tous, l’inclusion et l’engagement des enfants en classe. L’aménagement des espaces fait partie intégrante de cette réflexion.

L’impact des aménagements sur l’apprentissage et le bien-être des élèves fait-il partie des préoccupation des enseignants en Suisse ?

Rappelons d’abord qu’en Suisse, chaque canton est différent, je  parle ici du canton de Vaud. Durant leurs trois ans de formation, les professeurs des écoles effectuent de nombreux stages sur le terrain. Puis, ils ont accès à de la formation continue. Ils décident ainsi des domaines dans lesquels ils veulent se perfectionner. Les enseignants contactent la Haute Ecole Pédagogique sur divers sujets, concernant par exemple les nouvelles directives politiques. Nous les accompagnons par des formations au sein de la HEP, ou sur le terrain. Ils s’interrogent par exemple beaucoup sur la question de l’évaluation. L’évaluation des élèves est un sujet délicat en Suisse, où il existe une importante sélection vers 11-12 ans, qui conduit parfois à une forme d’« exclusion » de certains enfants. Pour favoriser l’inclusion, la compétence première sur laquelle j’insiste est la capacité de l’enseignant à observer et repérer les processus d’apprentissage en cours pour aider tous les élèves à progresser.

Dans cette perspective, la classe flexible offre une meilleure possibilité d’observation et un meilleur contact avec les élèves. Elle permet aussi une bien meilleure utilisation du temps : dans une classe figée, avec un enseignant qui reste à son bureau, les enfants font la queue pour lui montrer leur travail... C’est une perte de temps considérable pour tout le monde ! En classe flexible, l’enseignant observe et va vers les élèves, les questionne et cherche à saisir ce qu’ils comprennent. C’est totalement différent. En termes d’évaluation, cette posture de l’enseignant est également bien plus profitable : il va voir l’élève en train de travailler, dans une situation « réelle ». C’est bien plus représentatif qu’une interrogation écrite par exemple.

Notre blog évoque justement régulièrement la « classe flexible » : cette notion est-elle familière aux professionnels de l’enseignement en Suisse ?

Oui la réflexion existe, nous sortons peu à peu de l’idée de « contrainte » du corps, et de cette croyance selon laquelle plus on contraint, plus vite on obtient des résultats. Du coup, on voit émerger pas mal de classes flexibles. Je conseille cependant de ne pas passer d’un extrême à l’autre, de ne pas « entrer en religion » en quelque sorte. Avant on ne bougeait pas, maintenant on « devrait » bouger absolument... En fait il s’agit de trouver un équilibre répondant aux réels besoins des enfants : certains d’entre eux ont besoin d’un aménagement de classe traditionnelle, avec des tables et des chaises attitrées, pour qu’ils puissent trouver « leur » place. J’ai notamment travaillé avec des enfants très défavorisés et désécurisés : j’ai pu constater leur besoin d’avoir une place définie dans la classe. Il suffisait parfois pour les rassurer de placer des cerceaux en tissus au sol pour délimiter des places où ils pouvaient s’installer.

Je recommande souvent aux enseignants de rester attentifs à tous ces aspects. En termes d’aménagement, je conseille aussi de s’interroger sur les motivations de leurs choix de matériel et de mobilier : il faut d’abord qu’ils sachent bien ce qu’ils veulent en faire. Changer pour changer, cela ne sert à rien, mais rester ouverts à différentes modalités de travail est essentiel.

D’autres pays d’Europe réfléchissent-ils à cette problématique du mouvement en classe ?

Oui, la réflexion existe dans plusieurs pays. Ceux d’Europe du Nord sont en avance sur cette question. Mais plus au sud, on y pense aussi. J’ai pu observer une enseignante en Grèce: elle faisait cours à sa classe maternelle avec l’ensemble des élèves assis face à elle. Au bout d’un certain temps, elle leur faisait un signe qui leur indiquait que s’ils le souhaitaient, ils étaient libres de circuler dans la classe. Un jour que la moitié des enfants s’était ainsi éparpillée dans la salle, l’enseignante demande à ceux qui restaient assis face à elle : « Vous pensez que ça vaut la peine de continuer alors que la moitié d’entre vous n’est plus là ? » Du fond de la classe, une petite fille qui était en train de jouer, lui répond sans se retourner : « Parce que tu crois que je ne t’écoute pas, de là où je suis ? » (rires) Elle écoutait en fait parfaitement, même si elle n’était pas dans ce qu’on considère traditionnellement dans une « posture d’écoute »...

En quoi l’aménagement de la classe est-il important pour l’inclusion de tous les élèves ?

L’enfant a besoin de se sentir comme les autres, tout en se sentant reconnu dans sa singularité. Les aménagements doivent répondre à ces deux attentes. C’est en réalité plus simple qu’il n’y paraît, car les enfants ont davantage de points communs que de différences.

Et, dans certains cas, veiller au bien-être et à l’inclusion d’un élève à besoins spécifiques, permet d’améliorer le fonctionnement de toute la classe et de répondre ainsi aux besoins de tous.

Par exemple, dans une classe de primaire, les élèves étaient assis sur des bancs pour les moments de travail collectif. Au moment de se déplacer vers les autres zones d’activité, quand ils quittaient leur banc,  les enfants se bousculaient un peu les uns les autres : le passage pour sortir de la zone de regroupement était trop étroit. Pour certains d’entre eux, ça ne posait pas de problème, pour d’autres c’était juste un peu dérangeant ou générateur de conflits, et puis pour un élève handicapé, c’était insupportable. Il ne tolérait pas le contact physique avec les autres enfants. Du coup, un aménagement pour élargir ce passage a été réalisé. A la base, c’était pour lui. Mais finalement, tous les élèves s’en sont trouvés beaucoup mieux ! L’élève handicapé a ainsi joué le rôle de « révélateur » d’une difficulté partagée par tous, et a permis de réaliser une amélioration pour l’ensemble du groupe.

Y a-t-il des points de l’aménagement auxquels veiller pour éviter « l’exclusion » de certains élèves ?

L’idéal est de pouvoir utiliser un mobilier scolaire facile à déplacer pour organiser l’espace de la classe en fonction des besoins et des activités.  C’est aussi une question de relation au matériel lui-même : autorise-t-on les enfants à bouger le mobilier, à déplacer une chaise s’ils en ont besoin pour se sentir mieux ? Et puis, dans quelle mesure laisse-t-on l’enfant décider de sa place, de sa posture ? Quand un enfant adopte une posture différente des autres, il faut parfois simplement se demander pourquoi, et lui laisser un peu de temps pour trouver sa place.

J’ai un exemple particulièrement parlant, avec un petit enfant qui, pendant plusieurs semaines après son entrée à l’école, est resté sous sa table en classe. L’enseignante l’observait et vérifiait que tout allait bien. Jusqu’au jour où il est tout simplement sorti de sous sa table, pour prendre « normalement » sa place dans la classe. C’est un exemple particulièrement parlant, dérangeant pour certains, mais il n’empêche que pour cet enfant, c’était la bonne solution : cela a permis au reste de l’année de se dérouler dans les meilleures conditions.

C’est un point très important que je rappelle régulièrement à mes futurs enseignants : savoir  rester ouvert aux différentes situations et faire confiance aux enfants. 

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