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Accueillir un enfant sourd en classe ordinaire : et si on s’inspirait de l’expertise des Pôles d’enseignement pour les jeunes sourds ?

26 janvier 2022

Il y a en France environ 340 000 élèves handicapés scolarisés en établissement scolaire ordinaire (Enquête DSDEN 2018). Parmi eux, on compte 7 700 enfants et adolescents sourds ou malentendants. Comment bien accueillir un élève sourd à l’école, au collège ou au lycée ? Quels aménagements mettre en place en classe, pour leur assurer confort et bien-être au fil de leur enseignement ? Élodie Vigé est professeure d’Histoire Géographie et coordinatrice du Pôle d’enseignement pour les jeunes sourds au collège Jean Lecanuet (76). Avec elle, nous revenons sur les aménagements à envisager pour bien accueillir un enfant sourd en classe ordinaire.  

 

En France, 7 700 enfants sourds sont scolarisés en classe ordinaire, selon une enquête DSDEN de 2019 citée dans un rapport publié en juin 2021 par le Conseil scientifique de l’éducation nationale.  

73% de ces enfants suivent une scolarisation individuelle. 16% participent à un dispositif ULIS. Et 11% suivent une scolarisation collective dans un PEJS, ou Pôle d’enseignement pour les jeunes sourds.  

Les PEJS ont été créés en 2017. Ces pôles sont chacun liés à une académie. Ils sont aujourd’hui au nombre de seize et sont structurés autour d’un ou plusieurs établissements éducatifs pour assurer aux enfants sourds une scolarité complète, de la maternelle jusqu’au baccalauréat. Au sein d’un PEJS, plusieurs élèves sourds et malentendants sont accueillis en classe ordinaire, toujours dans le cadre d’un Projet personnalisé de scolarisation (PPS). Évoluer avec d’autres enfants sourds leur permet de se sentir moins isolés dans l’établissement, tout en s’intégrant dans un environnement ordinaire.  

Les écoles, collèges et lycées qui font partie de PEJS ont acquis une solide expérience en termes d’aménagements favorisant l’inclusion des enfants sourds : leur expertise peut inspirer tout établissement éducatif amené à accueillir un enfant porteur de surdité parmi ses élèves.  

Elodie Vigé est professeure d’Histoire Géographie au collège Jean Lecanuet à Rouen, qui fait partie du PEJS de l’académie de Normandie. Dans son établissement, elle assure la coordination du Pôle d’enseignement pour les jeunes sourds. Détentrice du CAPPEI (certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive), elle y enseigne de la 6e à la 3e, dans des classes comptant des élèves sourds dans leurs effectifs. Elle revient avec nous sur les aménagements permettant la bonne inclusion de ces élèves.  

 

Comment s’organise la scolarisation des élèves sourds au collège Jean Lecanuet ?  

Nous avons plusieurs classes de 15 élèves intégrant à la fois des élèves sourds et entendants. Le taux d’enfants sourds dans ces classes peut aller jusqu’à 50% selon les années. Il y a une classe de 15 enfants pour chaque niveau, donc quatre classes au total dans l’établissement. 

Ce système de classe limitée à 15 élèves, c’est un choix du collège Jean Lecanuet, voté chaque année par le Conseil d’administration. Tous les établissements faisant partie d’un PEJS n’adoptent pas ce système. D’autres par exemple baissent de quatre élèves le nombre d’enfants dans les classes accueillant des élèves sourds. 

 

Dans ce cas précis, qu’apporte le fait d’être moins nombreux en classe ?  

Cela permet aux enseignants d’être plus disponibles pour réexpliquer un élément du cours. Cela favorise aussi le calme en classe, à condition que les enfants entendants, soient eux-mêmes de tempérament posé. Avoir des élèves calmes, c’est indispensable pour que ça fonctionne.  

Par ailleurs, ces classes ont leurs salles dédiées : les élèves ne changent pas de salle à chaque cours, ce sont les enseignants qui se déplacent, sauf pour les matières nécessitant du matériel spécifique (SVT, par exemple).
Le fait de ne pas avoir à se déplacer évite aux enfants de passer par des couloirs bruyants. C’est, là encore, un moyen de préserver un environnement calme pour ces élèves.  


Vous insistez beaucoup sur le calme des espaces éducatifs pour les enfants sourds. En quoi est-ce si important ?  

Parce que les bavardages ou l’agitation donnent lieu à un bruit de fond très fatigant pour les élèves sourds, qui sont de plus en plus souvent appareillés ou porteurs d’un implant cochléaire. Ce bruit de fond les empêche de bien se concentrer et d’entendre distinctement ce que dit l’enseignant.  
C’est aussi pour cela que le collège réserve une salle de permanence aux élèves sourds. Elle est plus calme qu’une salle de permanence ordinaire. 

De même, nous avons changé notre sonnerie de fin de cours, qui était trop agressive, pour une sonnerie plus douce.  

 

Parmi les lieux les plus bruyants dans un établissement scolaire, on pense notamment à la cantine : comment faites-vous ? 

C’est un sujet en cours de réflexion ! Concrètement, les élèves sourds de notre collège ont trouvé la solution : à table, ils ont tendance à se regrouper entre eux, ils enlèvent ou déconnectent leurs appareils et implants pour ne pas souffrir du bruit ambiant, et ils communiquent en Langue des signes ou en lecture labiale.  

 

En classe, comment s’organise l’espace entre les différents élèves, les enseignants et les assistants comme les AESH ? 

Concernant la place des élèves en classe, les enfants sourds s’installent au premier rang, face au professeur, pour pouvoir lire sur les lèvres et mieux se concentrer.  

L’espace de la classe doit aussi prendre en compte la présence de l’AESH, formée à la LPC (Langue parlée complétée). Quand l’AESH est présente auprès d’un élève, elle s’assied face à lui. Elle « prononce » le cours en silence, en même temps que l’enseignant, pour que l’élève lise sur ses lèvres à elle, et elle utilise la LPC pour aider l’élève à suivre le cours. 

Dans certains cas, c’est un interprète en LSF (Langue des signes française) qui vient apporter son aide. Il se place à côté de l’enseignant : l’élève écoute l’enseignant et regarde son interprète. Entre l’interprète et l’enseignant, il y a tout un travail de coopération. Par exemple, l’enseignant peut donner le contenu de son cours à l’interprète avant le jour de la leçon. L’interprète prépare une vidéo pour permettre à l’élève de découvrir des mots de vocabulaire spécifique qu’il ne connait pas forcément en LSF. Dans mon cas par exemple, c’est important que les élèves puissent connaître le mot « génocide » en LSF, avant un cours sur cette question. La vidéo créée par l’interprète est remise à l’élève avant le cours, pour qu’il puisse mieux suivre une fois en classe. En cours, si un élève a du mal à comprendre quelque chose et que je dois lui réexpliquer, je viens près de lui et l’interprète viens avec moi près de l’élève. C’est un travail d’équipe !  

 

Selon vous, est-il facile pour un établissement ordinaire, hors PEJS, d’accueillir un enfant sourd en classe ?  

Ce n’est pas forcément « facile », mais c’est très faisable, en s’organisant et en formant les équipes. Et aussi, en sensibilisant les autres élèves à la surdité. 

  • Concernant les aménagements, en premier lieu, je ne peux que répéter l’importance de composer une classe calme pour accueillir l’enfant sourd.  

  • Aussi, poser des patins sous les pieds des chaises pour éviter les bruits de raclement quand on les déplace. 

  • Changer de sonnerie de fin de cours ou de récré, en évitant celles qui sont trop agressives.  

  • Ajouter des indicateurs lumineux pour alerter l’enfant qui n’entendrait pas la sonnerie. 

  • Munir l’enseignant d’un micro-cravate connecté à l’appareil de l’enfant. Cela rassure surtout les enfants les plus jeunes : nous avons noté que plus ils grandissent, moins ils s’attachent à ce dispositif, qui en effet a tendance à les placer dans une relation un peu « fermée » avec leur enseignant ; ils sont moins à l’écoute de tout ce qu’il se dit autour d’eux. 

  • Prévoir une formation des enseignants pour qu’ils adaptent certaines de leurs pratiques : par exemple, ne pas parler quand on écrit au tableau puisqu’on tourne le dos à l’élève sourd qui ne peut plus lire sur les lèvres ! Il y a de nouveaux réflexes à acquérir, ce n’est pas évident. 

  • Prévoir une session de sensibilisation à la surdité pour les élèves entendants et leur proposer d’apprendre la LSF lors d’ateliers périscolaire. Cela a souvent beaucoup de succès. 

  • Éventuellement, demander à un enfant de la classe (ou à plusieurs enfants tour à tour) de jouer le rôle de « tuteur » auprès de l’élève sourd, pour l’alerter s’il n’a pas entendu quelque chose par exemple, ou lui indiquer les changements de directives en cours d’EPS (puisque le professeur de sport n’est pas toujours à proximité immédiate de l’élève). Pour les enfants tuteurs, c’est raisonnablement responsabilisant, et c’est aussi une expérience enrichissante. 

>> Lire aussi : Accueil des enfants sourds et malentendants en classe : rencontre avec le CEOP.

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