Aménagement des espaces éducatifs
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Au collège, un coin lecture en classe pour faire lire les ados.

4 mai 2022

Le coin lecture, un espace réservé aux classes du petit primaire ? Sûrement pas. Céline Retrouvey (@labandeabaudelaire sur Instagram) est professeure de Lettres Modernes dans un collège de l’académie de Besançon. Elle est aussi l’auteure de « La Bande à Baudelaire », un blog fourmillant d’idées et d’activités pédagogiques autour des livres. Dans sa salle de classe, elle a créé en 2018 un coin lecture que les élèves adorent. Entretien.  

 
« Lis, mais lis donc ! » écrivait Daniel Pennac dans son essai Comme un Roman (Gallimard, 1992), attirant ainsi notre attention sur le fait que le verbe « lire » ne supporte pas l’impératif. Consacré à la difficulté de faire lire les ados, cet ouvrage publié il y a 30 ans (bien avant l’arrivée du smartphone !) est toujours d’actualité. Les parents et les professeurs de littérature sont nombreux aujourd’hui à se demander comment donner aux jeunes le goût de la lecture. Céline Retrouvey, professeure de Lettres Modernes dans un collège de l’académie de Besançon, réfléchit depuis des années à cette question. Dans sa salle de classe, tout entière imprégnée de l’univers des livres, elle a ainsi créé un coin lecture. Elle nous raconte sa genèse et son évolution. 

 

D’une manière générale, d’après vos observations, comment qualifiez-vous le rapport des collégiens à la lecture ?  

Je parlerai ici de ce qui se passe dans le cadre du collège, qui peut être différent de ce qui se joue dans la sphère familiale. Le rapport des élèves au livre est très variable. Certains s’affichent comme réfractaires à la lecture, ils affirment qu’ils « détestent lire », mais cela peut aussi n’être qu’une posture. Au collège, ils sont finalement contraints de lire : lire les livres au programme ; lire dans le cadre des devoirs à faire et du respect des consignes (« Lire le chapitre 3 pour lundi » par exemple). Tout cela ne permet pas forcément d’amener les élèves à la « lecture plaisir ». Pour y arriver, on peut s’appuyer sur différentes initiatives : nous avons ainsi mis en place à l’école les « 15 minutes de lecture par jour ». Un quart d’heure, ce n’est pas énorme mais ce qui compte c’est de faire des « petits pas » vers le plaisir de lire. Ça prend du temps. On voit parfois des élèves qui, de septembre à mai, ne touchent pas un livre en dehors des ouvrages obligatoires. Puis en fin d’année, ils en choisissent un, le feuillettent et parfois s’y plongent et vont jusqu’au bout.  

 

Comment vivez-vous cela en tant que professeure de lettres ?  

Cette difficulté à créer le lien entre les élèves et la lecture est parfois difficile à accepter pour l’enseignant. Il s’agit de ne pas baisser les bras. Et aussi d’avoir une certaine honnêteté vis-à-vis de soi-même et du lecteur qu’on était, à leur âge. A l’époque, nous n’avions pas forcément plaisir à lire Le Rouge et Le Noir ! Je considère qu’il y a deux lecteurs dans chaque élève : le lecteur que j’entraîne en tant que professeure, et le lecteur-plaisir. Ce lecteur-plaisir peut, lui-même, représenter une porte d’entrée vers l’autre lecteur et l’emmener vers la littérature classique. C’est précisément pour favoriser la « lecture plaisir » chez les élèves que j’ai souhaité aménager ce coin lecture dans ma classe. 

 

Comment ce projet a-t-il vu le jour ?  

J’enseigne depuis 13 ans. Pendant mes dix premières années d’exercice, j’ai rêvé d’avoir un jour dans ma salle de classe un coin réservé à la lecture. Dans mon collège actuel, un de mes collègues partageait cette idée. Il avait sa propre salle, dont la particularité était de présenter un renfoncement, idéal pour aménager un coin lecture. A mon arrivée dans l’établissement, ce collègue préparait son départ en retraite. Il a souhaité me « transmettre » sa classe pour que je puisse utiliser cet espace et réaliser mon projet. En 2018, j’ai pu lancer les aménagements dans cette salle de classe, devenue la mienne.  

 

Comment avez-vous réfléchi à l’aménagement de l’espace pour ce coin lecture ?  

J’ai commencé par décrire mon projet sur le papier, pour l’exposer à ma direction. Le « plan » sur papier a été finalement assez facile à réaliser. Il y avait ce renfoncement, ce « coin », comme un espace prédéfini. Il a ensuite fallu aménager cet espace pour en faire un lieu à la fois en retrait et protégé, mais également accessible et visible. Cette question de la visibilité est importante car je fais cours pendant que des élèves se trouvent dans le coin lecture. Je dois naturellement garder un œil sur ce qu’ils font. Du coup, j’ai installé deux meubles bas, qui créent une séparation sans cacher l’espace.  

 

On ne voit pas de rayonnages classiques dans ce coin lecture, pourquoi ?  

En effet, je ne voulais pas créer un espace « bibliothèque » traditionnel. Je ne voulais pas voir les enfants déchiffrer les titres des ouvrages, la tête penchée à 90 degrés ! La façon dont on présente les livres est essentielle pour inciter les élèves à s’en saisir et les lire. C’est la couverture qui attire le futur lecteur. J’ai donc choisi des présentoirs où les livres sont « debout », couverture face aux élèves : chevalets, vitrines, et même porte-assiettes... Finalement, cet espace s’apparente davantage à une librairie qu’à une bibliothèque. Il y a aussi des étagères, mais on y pose là encore le livre « de face ». L’élève l’attrape et le retourne pour en lire la 4e de couverture.  Cet enchaînement de gestes est essentiel : il y a le regard, le geste de la main de prendre le livre et le fait de le retourner puis de s’assoir avec, pour le feuilleter. L’aménagement et le mobilier du coin lecture doivent être pensés en ce sens.  

  

Comment votre initiative de création du coin lecture a-t-elle été accueillie par les élèves, au tout début ? 

En fait je ne leur ai rien dit, j’ai juste commencé à installer l’arbre en papier qui en constitue l’élément central de décoration. Ils en voyaient l’évolution. Dès qu’ils entraient en classe, ils allaient voir l’arbre. Ils l’ont vu pousser en quelque sorte ! 
Et puis je leur ai dit que je faisais un coin lecture. Ils ont tout de suite été beaucoup moins intéressés ! (rires) Mais finalement, ils se sont quand même pris au jeu, et ils en attendaient la finalisation avec impatience.  Une fois l’arbre installé, les livres ont poussé tout autour et l’ensemble a pris forme. Les élèves des autres classes étaient eux aussi très curieux et venaient voir de quoi il s’agissait. Il faut ajouter que ma salle est décorée selon le thème d’Harry Potter, ce qui la rend encore plus atypique. En fait, quand on entre dans ma classe, on pénètre dans un monde où débordent tous les univers du livre. C’est un moyen supplémentaire de plonger les enfants dans un bain de lecture quotidien !  

Penser et organiser la salle de classe comme un espace non traditionnel, c’est important pour moi. Mais pour concevoir cet espace, il faut avoir un projet, et des objectifs pédagogiques. C’était mon cas, et c’est probablement pour cela que ma direction m’a donné carte blanche pour l’aménagement de ma classe. 

 

Avec le recul, y a-t-il des équipements plus efficaces que d’autres pour aménager un espace favorable à la lecture ?  

Certains équipements se sont avérés encore plus utiles que prévu : j’ai installé un « tourniquet » de cartes postales, sur lequel je pose de petits livres très courts, faciles à lire, faciles à attraper. Dans ce tourniquet, forcément, les « gros » romans ne rentraient pas, ils étaient trop lourds. J’y ai placé des livres fins et légers, qui convenaient mieux aux « petits » lecteurs qui s’en saisissent volontiers. 

J’ai noté aussi l’importance de proposer une posture de lecture différente. J’ai mis des coussins et un tapis : le plus souvent, les élèves s’assoient au sol, s’adossent au mur et allongent leurs jambes. Certains s’étalent sur le tapis.  

J’ai préféré ne pas proposer de pouf, notamment pour des questions de place : il n’y en aurait eu qu’un seul et cela aurait généré des disputes autour de « qui aura le pouf ». 

Finalement, pour l’aménagement du coin lecture, c’est vrai que la décoration est essentielle pour faire de cet espace un « bel endroit ». Mais il est aussi important de raisonner en termes d’« activité », de « mouvement » et de « posture », peut-être même avant de penser « déco ».  

 

Comment les élèves se sont-ils approprié ce coin lecture ?  

Une fois l’espace créé, j’ai dû mettre en place des règles, affichées au fond de la classe. C’était indispensable car ce lieu est petit, on ne peut pas s’y trouver en trop grand nombre, ni s’y agiter. Une règle spécifie par exemple « 3 lecteurs maximum » (même si on prend parfois des libertés avec celle-là !). Il y a aussi une régulation du temps : on peut aller dans cet espace quand on a fini son travail, et pas n’importe quand. 

Quoi qu’il en soit, la question « Je peux aller prendre un livre ? » est désormais habituelle. 
Tous les élèves veulent aller dans cet espace lecture. Pas toujours pour y lire : certains vont y prendre un livre mais c’est juste pour la forme. D’autres y vont parce que cela leur donne l’occasion de se déplacer, de faire quelques pas. Cependant, pour moi, c’est quand même une petite victoire : ils sont au milieu des livres. 

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